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25.06 - 08.10.2022

Vert menthe, jaune canari.
La couleur en photographie

John Batho
Piero Percoco
Luke Stephenson
Dorian Teti
Laure Tiberghien

John Batho, Les Menthes à l'eau, 1982, dépôt - ministère de la Culture, Médiathèque du patrimoine et de la photographie

Initiée à la fin des années 1970, à une période où la photographie artistique est presque exclusivement une affaire de noir et blanc, la série « Photocolore » est particulièrement révélatrice de la pratique de John Batho (né en 1939). L’exposition Vert menthe, jaune canari prend comme point de départ cette série de photographies, peu montrées après les années 1980 à l’exception de quelques images emblématiques. Quarante-et-un tirages sont réunis pour l’occasion, sélectionnés à partir du vaste ensemble déposé par l’artiste à la Médiathèque du patrimoine et de la photographie à l’automne 2021.

Ces photographies historiques sont mises en perspective avec celles de quatre artistes nés dans les années 1980 et 1990 : Luke Stephenson (1983), Dorian Teti (1983), Piero Percoco (1987) et Laure Tiberghien (1992). Même s’ils appartiennent à une autre génération de la couleur et même si aucun d’entre eux ne revendique une filiation directe avec le travail de leur aîné, ils ont chacun placé la couleur au cœur de leur pratique. Depuis plusieurs années, ils reconduisent tout en les actualisant certains principes plastiques déjà à l’œuvre dans « Photocolore » : le potentiel d’attraction et de séduction de la couleur, sa relation au quotidien et au banal, le rapport à la peinture et à l’abstraction, sa dimension narrative en tant qu’élément structurant d’un récit.

Il ne s’agit pas pour eux de seulement photographier en couleurs mais bien de photographier la couleur. Du vert menthe au jaune canari, du bleu nuit au gris tourterelle, le pouvoir évocateur des couleurs est inscrit jusque dans leur nom, attestant – s’il était encore nécessaire de le démontrer – de leur capacité sans cesse renouvelée à faire image.

John Batho, Tasse et primevère, 1984
John Batho, Prunelles sur table verte, 1985
 

 

 

Dès 1963, John Batho fait le choix de la couleur, qui lui apparaît comme une évidence. La couleur est pour lui un moyen d’aborder de manière nouvelle son environnement proche, tout ce qui est déjà là et qui semble ordinaire. À partir de la fin des années 1970, il réalise des clichés dans lesquels il isole des objets du quotidien sur un fond coloré pour mieux les faire ressortir (sur le bleu du ciel, le rouge d’une table, le jaune d’une nappe) . La perspective est le plus souvent inexistante, opérant ainsi une sorte de mise à plat des sujets. Il favorise les oppositions chromatiques et multiplie les plans rapprochés, focalisant ainsi l’attention sur les détails tout en amplifiant les effets et contrastes colorés. C’est la couleur qui guide les choix de cadrage et structure les compositions, qui tendent progressivement vers l’abstraction.

Le nom de John Batho est rapidement associé à l’enthousiasme porté à la couleur en France et il se voit décerner, grâce à sa série Photocolore, le prix Kodak de la critique photographique en 1977. Il réalise alors des tirages au charbon selon le procédé Fresson à partir de ses diapositives. Cherchant la meilleure manière de matérialiser la couleur sur papier, il expérimente dans les années 1980 la technique du Cibachrome, au rendu plus brillant que le Fresson. Depuis l’introduction des technologies numériques dans les années 1990, il obtient désormais des couleurs plus saturées et plus lumineuses, fidèles à ses diapositives initiales. La confrontation de ces différentes techniques permet de se rendre compte aisément de la variété des rendus possibles avec la couleur.

Laure Tiberghien travaille la matière même de la photographie : la lumière. Dans l’obscurité de la chambre noire, elle manipule le flux lumineux d’une lampe de poche ou de son téléphone portable, créant ainsi des compositions abstraites. Par l’utilisation de filtres colorés, elle fait surgir des contrastes, des nuances et des effets subtils de transparence. Les couleurs se fondent entre elles ou bien s’opposent, selon une palette prédéterminée. En effet, bien que la technique soit expérimentale, les compositions sont réfléchies en amont et répondent à un protocole bien établi, fixant le temps d’insolation et les « couches » successives de lumière que va recevoir le papier. L’artiste parle d’ailleurs d’archéologie, en référence aux strates temporelles qui constituent ses œuvres.

Le choix du papier utilisé est primordial, car c’est lui qui conditionne le rendu final, en raison notamment des propriétés plastiques de certains procédés (papier Cibachrome, Ilfoflex, etc.), mais aussi car Laure Tiberghien a fréquemment recours à des papiers périmés. De cette façon, elle laisse une part ouverte au hasard et aux accidents, intégrant dans son processus de fabrication les fuites de lumière, les imprévus de la chimie au développement ou encore l’oxydation due à l’air entré dans les boîtes de papier. Chacune des ses œuvres est donc un tirage unique, impossible à reproduire à l’identique.

Laure Tiberghien, Fuites #9, tirage chromogène unique, 2021
Laure Tiberghien, Fuites #9, tirage chromogène unique, 2021
Piero Percoco, Pranzo festivo, 2017
Piero Percoco, Meloni gialli, 2019

 

 

Après avoir interrompu ses études en sciences environnementales et gestion forestière, Piero Percoco s’est peu à peu initié à la photographie, publiant depuis 2013 sur Instagram les images prises avec son téléphone. À travers son objectif, tout semble digne d’intérêt : un plat de pâtes noyé dans la sauce tomate, des fruits trop mûrs, les vieilles enseignes de magasin, etc. Ses clichés sont presque tous pris à Sannicandro di Bari, petite ville du sud de l’Italie d’où il est originaire. Le soleil y est omniprésent, accentuant les ombres et intensifiant les couleurs. Piero Percoco enregistre au format carré les micro-événements qui traversent son champ de vision, photographiant ce qui se trouve à sa portée dans un style qui peut parfois évoquer celui des images amateurs.

Inspiré par les coloristes américains – il reconnaît volontiers le rôle des livres de William Eggleston et de Stephen Shore dans la formation de son regard –, Piero Percoco revendique une approche résolument instinctive, misant sur les imprévus et les rencontres. À partir de ses images à première vue disparates, il construit des ensembles en les agençant au mur ou bien dans des livres. Des motifs se répètent ou bien se répondent, certaines couleurs vives reviennent comme un leitmotiv. Depuis près de dix ans, il est l’auteur de ce qui prend forme d’une grande fresque du quotidien du sud de l’Italie, fait de scènes de plage, de tranches de pastèque, de soleil d’été et d’étals de fruits.

Luke Stephenson, Australian Finch #1, 2009
Luke Stephenson, Lazuli Bunting #1, 2016

 

 

Après avoir découvert le monde des concours d’oiseaux dans le nord de l’Angleterre, Luke Stephenson commence à photographier en 2006 les oiseaux exotiques élevés par des aviculteurs d’ornement passionnés. Ainsi débute le projet An Incomplete Dictionary of Show Birds [Un dictionnaire incomplet des oiseaux de concours], réunissant plusieurs centaines de portraits d’oiseaux. Chacun d’entre eux est photographié de près, sans autre décor qu’un petit perchoir. Pour réaliser ses clichés, Luke Stephenson a fabriqué un petit studio portable qui lui permet de faire tenir les oiseaux en place au centre du cadre, afin de guider leur regard vers l’objectif.

Des fonds colorés sont également insérés dans le studio mobile afin de mettre en valeur le plumage des différentes espèces. Sur certaines photographies, la couleur du fond uni s’oppose à celles des oiseaux pour faire ressortir leurs plumes multicolores. À d’autres moments, le photographe choisit au contraire un fond dont la couleur rappelle celles des oiseaux, qui se fondent alors complètement dans la couleur. Au fil des années, le « dictionnaire » de Luke Stephenson a pris l’allure d’une véritable encyclopédie. Cette collection impressionnante d’oiseaux, des plus communs aux plus rares, reproduit en images le geste de collectionneur initié par ces éleveurs passionnés.

Inscrite dans un cycle de travaux consacrés aux héritages familiaux, la série Rose de Dorian Teti est une exploration des liens filiaux, à travers la figure maternelle. L’artiste se concentre sur la manifestation de la relation mère/fils par le biais d’un lieu : l’appartement à Vallauris dans lequel il a vécu son adolescence avec Rose, sa mère, et où il s’est installé en 2017 alors qu’elle venait d’en partir. Il réinvestit le lieu dans lequel sa mère a laissé les objets qu’elle ne souhaitait pas emporter lors de son récent déménagement.

Chaque objet prélevé dans l’appartement est mis en scène puis retouché, soumis à une intervention plastique qui lui retire l’information biographique qu’il aurait pu apporter au spectateur. L’œuvre de Dorian Teti propose des surfaces, des images à l’assemblage maîtrisé, mais n’impose pas de récit. Discrète, tendre, ou plus vive, la teinte rose s’invite dans chacune des images de l’artiste, avec au fur et à mesure un peu plus de présence. La couleur, en tant que motif plastique récurrent, devient le fil conducteur qui articule une œuvre construite en suspens, entre réalité et fiction, conduisant l’artiste à livrer une image performée du lien qui l’unit à sa mère. Le rose détermine résolument la syntaxe plastique et conceptuelle de cette série, étant tout à la fois prénom, couleur et sujet.

Dorian Teti, Tas, 2018
Dorian Teti, Tas, 2018
Agenda

24.06 – 18h
Vernissage de l’exposition

25.06 – 14h
Rencontre avec Piero Percoco, Dorian Teti et Laure Tiberghien

30.06 – 18h
Visite collection (Bernard Plossu)

07.07 – 18h
Visite flash de l’exposition

15.09 – 18h
Visite collection (Mark de Fraeye)

15.09 – 18h30
Conférence de Nathalie Boulouch sur l’histoire de la photographie couleur

22.09 – 18h
Visite flash de l’exposition

01.10 – 15h
Visite conférence sur la couleur, avec le dispositif Micro-Folie de l’Espace Sainte-Anne

06.10 – 18h
Visite flash de l’exposition

Vues de l’exposition

John Batho, photo : Aurélien Mole
John Batho, photo : Aurélien Mole
John Batho, photo : Aurélien Mole
John Batho, photo : Aurélien Mole
Laure Tiberghien, photo : Aurélien Mole
Laure Tiberghien, photo : Aurélien Mole
Dorian Teti, John Batho, photo : Aurélien Mole
Dorian Teti, photo : Aurélien Mole
Dorian Teti, photo : Aurélien Mole
Dorian Teti, photo : Aurélien Mole
Laure Tiberghien, photo : Aurélien Mole
Laure Tiberghien, photo : Aurélien Mole
Laure Tiberghien, photo : Aurélien Mole
Laure Tiberghien, Piero Percoco, Luke Stephenson, photo : Aurélien Mole
Piero Percoco, photo : Aurélien Mole
Luke Stephenson, photo : Aurélien Mole