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16.10 - 25.11.2006

Photographies 1932-1962

Pierre Verger

Carton de l’exposition de Pierre Verger , Photographies 1932-1962, 2006

 

Nous avons reçu une rétrospective du photographe humaniste français Pierre Verger (1902/1996) en collaboration avec « Revue Noire ».
Cet ensemble d’une centaine de tirages fait partie de la sélection opérée par Pierre Verger, Jean Loup Pivin et Pascal Martin Saint Léon (responsables des éditions Revue Noire) lors de la réalisation de son livre  Le Messager  en 1993.

Le Brésil et l’Afrique noire, ses pays de prédilection, bien entendu, mais aussi Cuba, Haïti, le Japon…, jalonnaient le parcours hors du commun de celui que Théodore Monod appelait « l’homme libre  » .
A l’occasion de cette exposition, une vidéo – entretien de Pascal Martin Saint-Léon avec Pierre Verger réalisé en 1993, production Maison Européenne de la Photographie, Paris – était également présentée.

Né le 4 novembre 1902 à Paris, décédé le 11 février 1996 à Salvador de Bahia au Brésil, Pierre Verger est le second fils d’une famille de grands bourgeois (imprimeur) d’origine belge et allemande. Jeune homme, encore insoucient, il jouera au dandy dans la « bande à Prévert » dans les années 1930, cotoyant les artistes de l’époque et fréquentant les lieux à la mode. C’est à ce moment qu’il découvre « le Bal Nègre » de la rue Blomet, rencontre des Africains et des Antillais et découvre leurs conditions de vie. Il en est perturbé.
En 1932, à la mort de sa mère, il abandonne tout et s’initie à la photographie avec Pierre Boucher en Corse. Il part en URSS célébrer le 15ème anniversaire de la Révolution d’Octobre puis à Tahiti pour une vraie nouvelle vie où il restera une année.
En 1934 de retour en France, il fonde « Alliance Photo », l’une des premières agences photographiques françaises, avec Pierre Boucher, René Zuber, Emeric Feher, Denise Bellon et Maria Eisner comme administrative, Robert Capa viendra les rejoindre plus tard. Les reportages et la vente de photographies lui permettent de vivre jusqu’à la Deuxième Guerre Mondiale. Il travaille aussi au laboratoire photographique du jeune Musée de l’Homme où il lie connaissance avec Alfred Métraux, Michel Leiris, Georges-Henri Rivière, Marcel Griaule, Denise Paulme et bien d’autres et s’initie au monde africain qu’il avait croisé quelques années avant.

Toujours en 1934, le grand quotidien Paris-Soir l’envoie avec le journaliste Marc Chadoume faire un tour du monde avec son nouveau Rolleiflex (USA -New York, Nouvelle Orléans, Los Angeles- Japon, Chine -Pékin- Shangai- Philippines, Singapor, Colombo, Djibouti). Découverte du monde. Déjà il s’imagine abandonner l’Europe séduit par Shangai et les Philippines.
En 1935, de retour d’un voyage solitaire en Espagne à l’aube de la guerre civile, Pierre Verger rencontre l’éditeur Paul Hartmann avec qui il collaborera pendant 30 ans à la réalisation d’ouvrages touristiques (Espagne, Italie, Mexique, Brésil, Congo Belge…). La photographie de Pierre Verger, très humaniste et ne cherchant jamais les coups de presse, est publiée dans de très nombreux ouvrages. Il est alors l’un des photographes majeurs de la photographie française. Mais Pierre Verger est un photographe qui veut garder sa liberté.

En novembre 1935, il part seul à travers l’Algérie et le Sahara vers l’Adrar des Iforas, Gao, Tombouctou, le Niger puis le Togo et le Bénin. Premier vrai contact avec l’Afrique qui le marquera jusqu’aux derniers jours. Il rentre à Paris pour repartir aux Antilles quelques semaines plus tard (Martinique, Guadeloupe, Haïti, Saint Domingue, Cuba puis le Mexique). Il voyage en échangeant reportages photographiques contre bons de transport, et tire ses photographies au laboratoire du Musée de l’Homme lors de ses courts séjours à Paris.
Retour en 1937 où les Arts et Métiers lui confie un reportage sur l’Exposition Universelle de Paris. Une de ses photographies est sélectionnée pour une exposition organisée au MOMA de New York.
Maria Eisner, administrative d’Alliance Photo, pousse Pierre Verger à « couvrir » la guerre sino-japonaise. Mais sur place, l’horreur lui fait tout abandonner. Robert Capa, devenu indépendant, suivra les atrocités pour la presse occidentale. Pierre Verger, lui, s’enfuit aux Philippines puis au Vietnam, au Laos et au Cambodge. Le refus de poursuivre un travail journalistique le pousse à quitter Alliance Photo. Il ne restera plus à Paris que pour repartir immédiatement vers d’autres continents. L’Amérique du Sud l’attend. Après une courte mobilisation en 1938, il part au Mexique où il rencontre Trotsky, puis l’Equateur, Bolivie, Pérou et Rio d’où il rejoint le Sénégal. 1940, arrivée à Dakar, il est mobilisé et travaille avec Théodore Monod à l’IFAN, l’Institut d’Afrique Noire. Cinq mois après il est démobilisé et part vers la Guinée Bissau et le Cap-Vert pour l’Argentine, poursuit en Bolivie et au Pérou où il séjournera dans des conditions difficiles pendant la guerre mondiale.

Le 13 avril 1946, il arrive enfin au Brésil où Roger Bastide l’encourage à aller à Salvador de Bahia, la ville la plus africaine d’Amérique du Sud. Pierre Verger y vivra jusqu’à sa mort.

« Je me sentais un des leurs, recherchant mes origines dans une Afrique que je connaissais à peine, mais un peu tout de même, par rapport aux Bahianains qui ne la connaissaient pas du tout, mais qui en perpétuaient la culture à travers leurs cultes », des cultes qui entretenaient la dignité et l’identité de tout ce peuple exilé. De Bahia, il sillonnera tout le Brésil et partira en Afrique à la recherche de leurs origines. Pierre Verger sent que c’est à travers cette quête qu’il trouvera sa propre vérité, celle d’un homme troublé par l’assurance du monde occidental, d’un homme qui refuse de n’être que ce qu’il apparaît être. La « mystique » africaine, laissant libre d’exprimer chaque élément de soi-même avec les éléments naturels, lui semble être sa voie libératrice.

En 1948, il suit Alfred Métraux en Guyane Hollandaise puis à Haïti. Il rencontre aussi Gilbert Rouget, ethno-musicologue du Musée de l’Homme de Paris. Fin 1948, il se rend à Dakar auprès de Théodore Monod qui lui demande de rédiger une thèse qui sera accompagnée de ses photographies. Dès lors, Pierre Verger se détourne de la photographie pour s’engager dans la voie de l’écriture. Il sera plusieurs années après nommé chercheur au CNRS, relateur rigoureux des relations et des cultes des deux mondes, africain et brésilien. La photo était son inconscient actif, son impulsion à saisir, ce déclic instantané et frais d’un regard sur le monde. Monod l’envoie au Bénin et au Nigeria où Verger découvrira des filiations directes entres les habitants de la Côte des esclaves africaine et ceux de la Baie de tous les Saints. Pierre Verger sera initié à Kétou en 1952 grand Babalowo, père des secrets et celui qui voit l’avenir, et retournera au Brésil, célébré dans les candomblés, voué au dieu Shango. C’est une deuxième naissance. On lui donne le nom de Fatumbi.

Il est resté en contact avec l’éditeur Paul Hartmann qui lui confie la réalisation du livre « Congo Belge » en contre partie de l’édition de sa thèse « Dieux d’Afrique » (1954), ouvrage de référence sur les cultes Yoruba africains et Orisha du Brésil (réédité par Revue Noire en 1995). En 1966, il soutient sa thèse à la Sorbonne sur le « Flux et reflux de la traite négrière entre le Golfe de Guinée et Bahia, Baie de tous les Saints » (publiée chez Ed. Mouton en 1968).
Loin de Paris où il vient rarement pour quelques jours seulement, son travail photographique de quelques 65.000 négatifs resté à Bahia dans de petites armoires (aujourd’hui climatisées) semble inaccessible. Tous ceux qui se sont penchés sur l’Afrique ont croisé sa discrète silhouette émaciée. Quelques-uns se souvenaient de ses photographies, différentes des autres par l’humanité et l’amour qui s’en dégagent. C’est alors que Jean Loup Pivin et Pascal Martin Saint Léon, architectes et jeunes éditeurs de la Revue Noire, ont voulu vivre cette rencontre et faire redécouvrir ce regard plein de respect à travers un livre de photographies « Le Messager ».

Ces tirages ont été réalisés à Paris en 1992 par Ricardo Moreno d’après les négatifs originaux remis par Pierre Verger lors de ses visites. Chaque tirage a donné lieu à des observations et des rectifications de la part de Pierre Verger avant son acceptation. De son aveu, les tirages anciens de son travail ne lui convenaient pas, ceux-ci n’étant de fait que de tirages de presse divulgués par Alliance Photo puis l’Adep (Agence de Documentation et d’Edition Photographique), sans aucune surveillance. Toujours en voyage et manquant de ressource, Pierre Verger n’a réalisé lui-même que très peu de tirages lors de son apprentissage avec Pierre Boucher dans les années 40. La redécouverte de ses photographies réalisées pour son livre « le Messager – the Go-Between » et l’exposition itinérante qui commença au Musée de l’Elysée de Lausanne en 1993 puis au Musée des Arts d’Afrique et d’Océanie de Paris en 1994 redonnèrent la dimension artistique du travail de Pierre Verger .