imagerie

Retour

28.06 - 27.09.2003

Humour et dérision :
25e Estivales photographiques
du Trégor

Anne-Catherine Becker-Echivard
Muriel Bordier
Ton Huijbers
Roland Laboye
Laurent La Gamba
René Maltête

Couverture du livret des 25èmes Estivales Photographiques du Trégor, Humour et dérision, 2003

Créées en 1979, les Estivales Photographiques du Trégor fêtent cette année leur 25e édition.
Après « Ailleurs, autrement… » qui accueillait en 2002 reporters et voyageurs, « Architectures » en 2001 et « Numériques » en 2000, l’édition 2003 a pour thématique « Humour et dérision ».

Qu’ils agissent dans le domaine de la photographie plasticienne ou dans l’instantané amusé, les 6 auteurs présents à Lannion (L’Imagerie) et Cavan (Maison des Arts) pour ces Estivales jettent sur notre société et notre quotidien un regard décalé mais lucide qui provoque sourire et réflexion.

Ainsi Catherine Becker-Echivard, jeune artiste franco-allemande qui, dans la lignée de William Wegman, reprend la thématique de la représentation animale choisissant quant à elle de donner le premier rôle dans ses « tableaux du quotidien » en couleur grand-format à des poissons ! Mettant en scène les situations les plus banales de la vie, elle nous amène à nous interroger, par la présence même de ces animaux, sur l’incongruité de nombreuses scènes que nous avons les uns et les autres vécues.

Muriel Bordier revisite pour nous, dans ses petits tableaux très colorés, l’histoire de France et la vision souvent simpliste laissée de chaque époque par nos manuels scolaires : son « Saint-Louis  » de pâte à modeler peinte se retrouve à rendre la justice sous un « chêne » en artichaut !
Laurent La Gamba s’est penché sur la société de consommation omniprésente et phagocytante. Les humains « homochromisés » qui peuplent ses images paraissent happés par les têtes de gondoles qui les entourent. L’être humain, semble-t-il nous demander, n’existe-t-il donc qu’à travers ce qu’il peut consommer et s’offrir ?

Utilisant la séquence photographique sous forme de courtes suites noir et blanc dont il est l’acteur, Ton Huijbers (Hollande) joue et profite des rapprochements de plans et des ruptures d’échelle que permet la vision photographique pour nous entraîner dans un monde surréaliste où l’humour et l’étrange font bon ménage.

Revendiquant par contre une photographie directe et sans artifice, Roland Laboye et René Maltête traquent, dans la spontanéité de leur coup d’œil et la  fraîcheur de leur regard, cette « multitude de perles d’humour qui s’offrent à qui sait voir au coin de chaque rue ». Mais ici, si l’ironie est sans cesse présente, elle n’est jamais méchante mais pleine de tendresse pour, comme le dit Roland Laboye, « cet autre moi-même vu dans le miroir du Leica ».

Anne-Catherine Becker-Echivard:

Dans l’œuvre d’Anne-Catherine Becker-Echivard, le poisson cache l’humanité au même titre que l’arbre la forêt. Le choix du poisson n’est pas un hasard. Animal sans poils, il n’a rien qui nous ressemble et sa mort nous est d’autant plus étrangère. Voilà un animal pour lequel nous ne pouvons avoir d’attachement pour la simple raison que son milieu naturel est différent du nôtre. Quand on se croise, l’un est mort, l’autre vivant et souvent en pleine digestion.
Anne-Catherine Becker-Echivard utilise la mort du poisson pour rendre vivante l’humanité en un jeu de rôle inhabituel mais avec le vieux principe de la fable. Car il y a dans cette œuvre autant de La Fontaine que de Granville, l’humour en plus.
La vérité est dans le goût de la mise en scène. Dans ce théâtre intime, l’artiste est tout à la fois auteur, metteur en scène, acteur, costumier, décorateur et photographe de plateau. En réalité il est le maître absolu de son univers et, comme tel, en subit toutes les joies mais aussi tous les avatars. Libre et solitaire il se prend, en quelque sorte, toute l’humanité sur la gueule. Je veux dire par là que rien ici n’est gratuit, ni l’humour ni la dérision, ni la manie du détail, ni l’ombre de Bukowski.
Rendre vie (apanage des Dieux) implique une perception aiguë des choses, un regard perçant de chouette diurne mais aussi de l’humilité quand il s’agit de comprendre tous ces petits riens qui sont nos grandes manies. Ce que nous disent ces photos est que le tout est d’abord une accumulation de détails. Comme si la vie commençait par une somme d’attentions, par des croisements de regards, par quelques bras tendus.
Sourire devant une œuvre est déjà l’accepter. A ce piège, nous sommes les victimes consentantes. Ici la délectation passe avant la raison.
Anne-Catherine a beau se cacher derrière le poisson et le poisson, pauvre bougre, se cacher sous son bonnet, elle est mise à nu dans son propre filet, piégée comme Jésus, dans la cène, mangeant le poisson qui est son propre symbole.

(Bruno Delarue)

Anne-Catherine Becker-Echivard, de nationalité franco-allemande, vit et travaille à Paris où elle est née en 1971.
Expositions : Galerie Bruno Delarue (Paris), Museum d’Histoire Naturelle (Paris), Art Paris Carrousel du Louvre, Galerie Christine Kandler (Toulouse), Galerie Kyra Maralt (Berlin)….
Elle est représentée par la Galerie Bruno Delarue (Paris).

Anne-Catherine Becker-Echivard, Lune de miel à Moscou, 1999
Anne-Catherine Becker-Echivard, Lune de miel à Moscou, 1999

Muriel Bordier:

« Il y avait autrefois »

Muriel Bordier choisit des éléments appartenant à notre mémoire collective, objets, monuments, paysages, personnages, les juxtapose, les met en scène en jouant du décalage que produit leur image avec leur représentation dans l’esprit du spectateur. En faisant apparaître des réalités différentes, celles qu’on voit, celles dont on se souvient, celles qu’on imagine, Muriel Bordier révèle toute l’incongruité de notre perception  « habituelle ».
« Il y avait autrefois » est une série de 19 photographies noir et blanc colorisées à l’encre de Chine, faisant référence à de grands événements historiques, du martyr de Blandine dans la fosse aux lions à la victoire des Alliés en 1945, tels qu’ils nous ont été présentés pendant des décennies dans les livres d’histoire. Les personnages photographiés sont fabriqués en pâte à modeler, le décor est composé de différents végétaux.
Comme dans ses précédents travaux, Muriel Bordier pose un regard ironique et distancié sur les événements en question mais aussi sur notre lecture de l’Histoire à travers la façon dont celle-ci nous a été enseignée.

L’imagerie simplificatrice et standardisée de nos manuels scolaires est revisitée par Muriel Bordier qui, en lui appliquant une série de filtres successifs, de l’image dessinée à la reconstitution en volume et pâte à modeler, de la photographie noir et blanc à la colorisation de celle-ci, lui fait rendre gorge et révéler la perversité de son discours.

Les mises en scène de Muriel Bordier, qui n’hésite pas à faire poser Saint-Louis sous un artichaut ou à affubler Jeanne d’Arc d’un buste de matrone, sont autant de saynètes drolatiques, burlesques, évocatrices « d’instantanés d’Histoire » restés en notre mémoire collective.
Les images produites demeurent précises et justes, telles des miniatures aux couleurs exacerbées. Elles apparaissent à la surface de la page noire, comme le souvenir d’un événement lointain émerge à notre conscience. »

(Claire Michaud)

Influencée par les événements de mai 68, Muriel Bordier décide de passer ses années de maternelle à remettre en cause les institutions scolaires. En 69, marquée par les exploits de la NASA, elle passe le reste de sa scolarité dans la lune. L’étude de Freud en terminale la conduit à passer son bac sur un divan. Après cinq années aux Beaux-Arts de Reims à étudier les estampes japonaises, elle part en vélo pour Hong-Kong. Son sens de l’orientation approximatif la mène à Cuba, au Chili, au Pérou, en Bolivie, en Équateur, aux États-Unis, au Canada, en Alaska….
Elle se retrouve en France par erreur où elle décide de reprendre à zéro ses leçons d’histoire qui aboutissent à ce travail photographique.
Muriel Bordier vit et travaille à Rennes…et n’a toujours pas visité Hong-Kong.

Roland Laboye:

« Instants croqués »

« Dans ce monde où le drame nous est chaque jour dévoilé par les médias, Roland Laboye nous prend doucement par la main et nous murmure gentiment : « Bien sûr, mais il y a autre chose aussi, il suffit de regarder ». Et qu’est-ce qu’il nous fait voir ?
Des rapprochements cocasses, des allusions légères, des comportements ambigus, des parallélismes de hasard, totalement ignorés par leurs protagonistes eux-mêmes. Ne nous donnons nous pas plusieurs fois par jour, inconsciemment, en spectacle en adoptant ingénument, à travers les péripéties de notre vie ordinaire, des attitudes génératrices de comique? Parce que nous pensons à autre chose que ce que nous faisons, parce que nous le faisons différemment de ce que nous dictent les règles habituelles de notre vie d’êtres normaux? A propos, c’est quoi se comporter normalement ?
Roland Laboye possède à un très haut degré, avec sa tête chercheuse hypersensible, des capacités de détection que la plupart d’entre nous avons négligées de développer. Il voit plus vite que son imagination et son appareil déclenche en même temps. Il est le révélateur immédiat de la comédie urbaine où nous sommes presque tous immergés mais que nous traversons avec les œillères de l’indifférence.
Et puis tout cela sans l’ombre d’une méchanceté, parce qu’il nous aime bien et qu’il est né avec un sourire malicieux en travers de la figure.
Veut-il ainsi nous offrir le secret du bonheur universel ? Du calme, voyons, évitons l’excès. Tu n’as certes pas cette prétention mon vieux Roland. Disons simplement que tu nous apportes, avec ta cascade d’images-clin-d’œil, une tonique bouffée d’oxygène.»

(Willy Ronis)

Né en 1944 à Castres, Roland Laboye vit à Montpellier où il est directeur artistique de la Galerie Photographique Municipale.
Ses photographies, perles d’humour et d’ironie captées au hasard des rues, lui ont valu le Prix Niepce de la Photographie et de nombreuses expositions et publications à travers le monde.
« Mes recherches, dit-il, sont des rencontres avec mes voisins les hommes. Les sujets me tombent dessus, ils sont issus de l’inattendu du quotidien… J’enregistre les hommes dans les signes qu’ils font en traversant la vie.»

Laurent La Gamba:

« Homochromies »

« Mon utilisation plasticienne du camouflage constitue en quelque sorte une proposition symbolique intermédiaire entre cette mise en forme de la protection et l’ensemble des différents enjeux que le désir de disparaître véhicule. C’est ce que je nomme la « Pro-cryptic Photography ».

Le camouflage comme modalité du mimétisme, n’est pas à situer uniquement dans la logique de la protection par disparition. Le camouflage ne vise pas uniquement la disparition, il ne prétend qu’à une disparition incomplète, il est une proposition symbolique de cette disparition, sorte de sacrifice expérimenté sur le mode du ludique et de la jouissance, à référer à la jouissance scopique pure.

Ma recherche constitue un cycle d’expérimentation et cette mise en scène photographique permet de souligner l’existence d’une possible équivalence entre le milieu naturel et un milieu urbain dans lequel existerait une homochromie similaire, ici soulignée et élaborée au moyen d’un artifice pictural. Cette réciprocité permettrait alors d’avancer l’idée que le corps humain présente, à l’état latent, un potentiel homo-chromique (camouflage) induit par les éléments chromatiques propres à l’environnement urbain qui l’entoure.
Les homochromies réalisées en supermarché qui débutèrent en 2001 marquent pour moi une étape importante dans mon travail en ce qu’elles accentuent symboliquement par le camouflage la position visuelle consumériste du corps humain dans la société.
Ces installations permettaient de mettre le sujet en situation de reproduire symboliquement la parade chromatique des vertébrés inférieurs dans leur milieu.
L’espace chromatique prenait alors valeur d’espace non sécurisé dans lequel l’homme jouerait à cette nouvelle mascarade d’intégration. »

(Laurent La Gamba)

Né en 1967. Travaille et vit dans le sud de la France depuis 1995.
Boursier de la Pollock-Krasner Foundation de New York en 2001.

René Maltête:

 

« Humour de gagman, talent de metteur en scène fort influencé par le cinéma et le dessin humoristique, photographe baladeur, l’appareil à l’affût du petit détail incongru, Maltête appartient d’évidence à la famille de Robert Doisneau mais en diffère beaucoup par son état d’esprit qui le révèle comme un humoriste sensible aux déviations du regard, à la contrepèterie visuelle, au calembour imagé…
Tel un chasseur, René Maltête rôde dans les rues, faisant preuve d’une patience étonnante en suivant un ou plusieurs personnages jusqu’à trouver la lumière, l’environnement qui convient le mieux au gag qu’il veut exprimer (le couple et l’enfant à Deauville). Ou encore en revenant plusieurs fois aux mêmes heures sur les lieux mêmes où le hasard lui a offert un instant de drôlerie, une association comique surprenante comme pour la photographie des sept péchés capitaux, situation repérée un dimanche et réalisée huit jours plus tard…
« Pour que le rire fonctionne dans ce genre de rencontre inopinée, il ne faut pas que cela soit gratuit, il faut absolument une logique dans l’incongru..
Mais par ailleurs, le spectateur doit absolument accepter de jouer le jeu et accepter la situation que je lui propose…Souvent d’ailleurs, c’est en public que le rire est le plus spontané car le rire est communicateur et communicatif.
C’est le même processus que pour un film comique… Et c’est peut-être pour cela que l’ai remarqué que ce sont les plus jeunes qui réagissent le plus vite à ces images. Avec leur éducation visuelle moderne, leur regard sait parfaitement décrypter le sens de l’image… la télévision sans doute… » Les images de René Maltête amèneront sans aucun doute plus d’un spectateur à sourire et même à rire car cet homme a de l’humour dans l’œil. Comme son ami Jacques Prévert, il adopte dans ses histoires visuelles, un parti-pris d’objectivité apparente en photographiant scrupuleusement attitude et comportement tout en se refusant à regarder en delà des apparences d’une rencontre souvent aussi banale qu’insolite… Il illustre à n’en pas douter un parfait humour français et ne peut concevoir d’amuser autrement qu’en s’amusant. »

(Jean-Claude Gautrand)

Né en 1930 à Lamballe, récemment disparu.
« Depuis son émergence sur la croûte terrestre, il n’a pas vu le temps passer et ses moments de vie sont autant d’instantanés qui défilent au déclencheur souple. Élève médiocre mais très vite chargé de cours de récréation… Suivent 24 métiers et 36 misères. Rêve de cinéma et de composer des images. Assistant stagiaire de Jacques Tati… Puis se décide à publier des bouquins de photos sur Paris… » (Réné Maltête)

René Maltête est l’auteur de Paris des rues et des chansons (éd. du Port Royal, 1960) (préface de Prévert, textes de Brassens, Ferré, Gainsbourg, Vian…) et de Au petit bonheur la France (éd. Hachette, 1965).

Exposition présentée avec le concours de « Montpellier Photovisions ».

Ton Huijbers, Le Mont Moret, 1990

Ton Huijbers:

« Comment décrire ces photos
Où l’auteur apparaît
Qui arrête le temps?

Comment expliquer ce qui pousse l’oiseau
A écrire et lui permet pourtant de rester
Libre comme l’air?

Entendez l’aboiement du chien.
Entendez le déclic de l’appareil
Quand le photographe s’échappant du temps
Retrouve ses racines.

Il voit le monde Et disparaît dans le paysage.

Courant affamé à travers les plaines,

Il veut savoir, avant qu’il ne soit trop tard
Où se cache l’inaccessible étoile.

Il est sensible et léger comme l’air.
La caméra le suit partout et voit un homme Qui grimpe au mur du jardin et s’envole
Insouciant tel Icare.
Regardez les enfants : votre père vole ! …

Ainsi conte le photographe son propre récit Et survit en photographies pleines d’avenir..».

(Willem K. Coumans)
Traduit du hollandais M.F. Pennings

Se mettant en scène – Huijbers est toujours l’acteur de ses « court-métrages » — en ogre surdimensionné avalant les nuages qui passent à portée de ses robustes mâchoires, en père attentif prêt à décrocher la lune pour l’offrir à son fils ou en redoutable lancier qui fera choir ce même astre de sa position céleste, il nous offre la vision d’un monde où rien ne semble impossible par la magie de l’acte photographique.

Né en 1949, vit en Hollande où il expose régulièrement son travail depuis 1980.
Ses « séquences » ont été présentées par le Musée d’Art et d’Histoire de Fribourg (Suisse), le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris Splendeurs et misères du corps, le Centre National de la Photographie Le temps d’un mouvement, le Musée d’Art Moderne de Liège (Belgique), la Galerie  « Spectrum » de Saragosse (Espagne)…

Elles figurent dans plusieurs collections publiques et privées dont celles du Centre National de la Photographie à Paris, de la Collection Polaroïd, du Musée de Fribourg et du Ministère de la Communauté Française de Belgique..

Exposition présentée avec le concours de la Galerie Pennings (Eindhoven).