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Mais que savons-nous, au juste, de leur, de notre passé industriel récent, allant du dernier quart du XIXe jusqu’au milieu du XXe siècle ?
Que reste-t-il, aujourd’hui, de cet héritage patrimonial commun, transmis ? Quels souvenirs individuels en ont gardé leurs habitants ?
De même, qu’en est-il de la mémoire collective à ce sujet ?
Comment la perçoivent-ils ?
Comment l’écrit-on de nos jours ?
Ne confions-nous pas trop facilement ce rôle mémoriel aux plus anciens et/ou aux plus savants d’entre nous ?
Ne produisons-nous pas, inconsciemment ou pas, plutôt de l’oubli, sans cesse des « trous de mémoire » ?

Un artiste-plasticien, Gérard Renvez, un documentariste-archéologue industriel, Christian Beasley, et un historien de l’art et des techniques, Jean-Yves Andrieux, ont entrepris, depuis 1996, de retrouver, de révéler, de réactiver cette mémoire, de mettre fin à « l’apparente amnésie industrielle » de certains sites lannionnais et trégorrois.

Afin de ne point tomber dans la nostalgie ambiante de notre siècle finissant, ils ont décidé d’élargir leurs prospections et leurs prospectives aux paysages urbains et ruraux en devenir, en mouvement. Ils nous proposent de nous faire re-découvrir ce qu’est la « notion de chantier », en explorant les sites industriels en friche, en vacance, en attente d’autres activités économiques et sociales, ils ont été attentifs à leur évolution.

Ils nous montrent, tour à tour, les moments éphémères ou durables de leur abandon, de leur inexorable destruction lente ou rapide, de leur fatale démo­lition, ou de leur inespérée re-conversion, de leur re-construction, de leur extension, de leur réhabilitation, de leur re-restauration, de leur ré-utilisation, de leur pro­bable modernisation, du moins pour certains d’entre eux.

Pour d’autres sites, ils nous signalent leur indéfectible histoire ou trajet à travers les âges, ceci parfois depuis l’origine du monde, en passant par la préhis­toire, le Moyen Age, le Siècle des Lumières… jusqu’à nos temps dits « modernes ». Vestiges et témoins permanents des ruines de notre esprit, des modèles pour notre « modernité » de la banalité, le « modernisme » de notre quotidienneté.

L’Homme a, de tout temps, bâti son avenir sur des substrats, sur des ruines et, des décombres ou à partir d’eux. La cité a, elle aussi, adopté et adapté cette fonda­mentale logique historique et ancestrale. Sauf que l’Homme a la fâcheuse particularité d’avoir la mémoire courte ou évanescente ou sélective.
A ce propos, en 1947, le poète africain Birago Diop écrivait : «  Quand la mémoire va chercher du bois mort, elle ramène le fagot qui lui plaît ».

Le Trégor, comme territoire de leurs investigations, s’est aussi logiquement offert aux trois protagonistes de l’exposition, car il est le lieu de résidence de deux d’entre eux, un pays d’études documentaires et de campagnes photographiques pour le troisième depuis de nombreuses années.

Ce travail est donc né de l’intérêt commun que portent Jean- Yves Andrieux, Christian Beasley et Gérard Renvez au patrimoine industriel et agricole. De leurs réflexions, de leurs appro­ches et de leurs pratiques différentes de l’archéologie contemporaine – de surface – , s’est naturellement imposée l’idée de chantier et la nécessité d’en transcrire une mémoire, grâce notamment à des moyens d’expression, de représentation et d’écriture propres à chacun.

 

 

 

Il est à noter, que les trois créateurs utilisent le même média de base : le papier (matériau souvent réputé fruste, simple, pauvre), afin de découvrir et de faire découvrir le proche, l’immédiat, l’ordinaire…

Une production d’images à partir de la fabrication d’empreintes in situ :

Gérard Renvez réalise des empreintes plastiques de formes, de matières, etc., grâce au béton de papier, et transfère des pigments colorés par coulage ou moulage sur des objets, sur et dans le sol. Ces relevés d’indices visibles sont ensuite retravaillés selon une technique qui lui est toute personnelle.

Christian Beasley effectue aussi des prélèvements de matière rayonnante, fixe les empreintes lumineuses des objets à l’aide de la technique photographique en utilisant, pour sa part, un mélange subtile de procédés anciens et des pratiques actuelles de la création photographique.

Ce travail commun d’engendrement d’empreintes, s’inscrit à la frontière de la trans­cription du visible et de l’illusion de sa restitution, de sa représentation. La pré­sence d’un balisage (rouge et blanc et/ou noir et blanc), omniprésent sur les sites et dans leurs reproductions, marquent la théâtralité du chantier.
Plus tard, dans l’atelier du plasticien et le laboratoire du photographe, des épreuves originales positives peuvent être ou sont réalisées à partir des premières empreintes négatives produites.

Enfin, dans le prolongement des deux démarches pratiques faites pour être vues, contemplées, Jean Yves Andrieux restitue leur travail dans une perspective théorique et historique, écrivant et décrivant l’esthétique minimaliste de la forme, de l’empreinte, de la représentation, de la banalité, etc., liée à la mémoire et à l’archéologie con­temporaine. De nouveau, un autre transfert de la pensée sur le papier pour être lu.

En résumé, les trois auteurs veulent nous faire partager leur passion et leur propension communes à vouloir laisser un témoignage en direction des générations actu­elles et futures.

Leurs modes singuliers d’expression personnelle – leurs écritures – permettent de retracer une mémoire enfuie de ou enfouie dans nos consciences, et de la replacer dans un contexte particulier, original, rassurant. Ils nous invitent surtout, de la sorte, à une démarche individuelle plurielle, tantôt artistique, documentaire, scien­tifique ou historique, ou bien toutes à la fois, en même temps. A nous, visiteurs ou spectateurs, la liberté de choisir dans ces images, ces mots, ce qui nous semble juste et/ou utile pour notre connaissance, notre curiosité, notre culture.

Leur art mérite d’être gardé et regardé. Il a aussi le mérite de solliciter à nouveau la mémoire de chacun, de nous fixer des repères visuels spatiaux et temporels, des jalons mentaux et mémoriaux. Il offre la possibilité de re-donner du sens aux choses et, aujourd’hui, un avenir au passé.
L’Histoire jugera !