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25.06 - 05.10.2019

Nos pères :
41e Estivales photographiques
du Trégor

Frédérique Aguillon
Taysir Batniji
Pere Formiguera
Grégoire Korganow
Colette Pourroy
Quentin Yvelin
La Conserverie

Affiche des 41èmes Estivales Photographiques du Trégor, Nos pères, 2019

La thématique des 41e Estivales place la figure paternelle au centre des questionnements photographiques. Nos pères : le possessif induit que le point de vue est collectif et tourné vers les générations précédentes. Car pour qu’il y ait un père, il faut qu’il y ait nécessairement un enfant, et donc un regard porté sur lui. Le regard des sept auteurs invités est sans équivoque, qui tous ou presque intitulent leur série « Père ». Sans fioriture, sans adjectif, comme un constat, cependant empreint de questionnements. Quels ont été nos pères ? Comment ont-ils été ?
Et qu’est-ce qu’un père ? Victor Hugo dans La Légende des siècles le décrit ainsi : Le père c’est le toit béni, l’abri prospère, / Une lumière d’astre à travers les cyprès, / C’est l’honneur, c’est l’orgueil, c’est Dieu qu’on sent tout près.

Cette figure de la toute puissance, c’est celle du pater familias, archétype hérité de la Rome antique et fondement de nos sociétés patriarcales. Dans cette conception traditionnelle, le père se définit dans un rôle social déterminé : il est le chef, ayant droit de vie ou de mort sur les siens. Il est celui qui doit subvenir aux besoins de la famille et transmettre les valeurs morales.

La remise en cause de cette figure d’autorité, qui s’inscrit dans une re-interrogation sociétale des concepts de masculinité et de parentalité, redéfinit ainsi le(s) rôle(s) du père. En se tournant vers cette figure, les auteurs interrogent également les notions d’héritage, de modèle, d’engagement, de lien. La programmation propose un parcours en trois temps, qui s’articule du collectif à l’intime, de l’histoire sociétale aux fictions individuelles.

Les oeuvres présentées en salle 1 proposent un regard collectif sur plusieurs générations de pères. Anne Delrez, directrice artistique de La Conserverie, s’est ainsi plongée dans sa collection d’albums de famille amateurs pour en extraire un ensemble d’images vernaculaires qui dessinent une figure paternelle en représentation.

Quand il est photographié en tant que père, c’est-à-dire dans le même cadre que ses enfants, il semble jouer un rôle, montrant une nouvelle fois à quel point la photographie participe à la construction médiatique d’un archétype. S’inscrivant pleinement dans notre époque contemporaine, Grégoire Korganow réalise le portrait de pères et de fils qui perturbe nos repères : le père n’est plus une entité impalpable. Il s’incarne, avec toute la réalité de sa corporalité, dans toute sa matérialité. Le photographe dévoile une intimité troublante et réinvente une iconographie de la paternité dans laquelle la transmission est aussi physique : un échange, un contact peau à peau primitif.

En salle 2, c’est la figure du père en tant que présence tutélaire qui est interrogée par les deux auteurs.
Taysir Batniji a photographié à Gaza les établissements dans lesquels sont accrochés les portraits photographiques des pères fondateurs, « maitres des lieux », qui s’inscrivent comme des fantômes dans l’image. Pere Formiguera a réalisé un portrait de son propre père chaque mois pendant dix ans. Pare semble pourtant inaltérable face au passage du temps: il demeure, mythifié dans son dépouillement (frontalité, franchise viscérales). Étrangement, et alors même que le projet respectif des auteurs est d’observer leur disparition, les pères y affirment fortement leur présence, une présence très ancrée, à la fois bienveillante et autoritaire. Pères-monuments majestueux, en gloire et glorifiés, mais aussi déjà en déclin.

L’effacement de la figure du pater familias à l’oeuvre chez Batniji et Formiguera se poursuit avec le dernier corpus d’auteurs, qui se déploie en salle 3 de L’Imagerie et à la Chapelle Saint-Samson.

Avec Frédérique Aguillon, Quentin Yvelin et Colette Pourroy, qui se confrontent à leurs origines en interrogeant leur propre père, ce sont les énigmes des histoires personnelles qui se dessinent, et leurs filiations mystérieuses. À la multiplicité identitaire qui émerge dans la figure paternelle observée par Frédérique Aguillon, père élucubrateur insaisissable qui semble revêtir autant de costumes que de vies rêvées, répond le père en quête, habité, bâtisseur de Quentin Yvelin, en fusion tant avec les éléments qu’avec la matière brute et granuleuse de l’image. Le plus souvent de dos, le corps morcelé ou les yeux fermés, ces pères sont au centre et pourtant ils s’échappent. Entre présence et absence, la figure paternelle apparaît cette fois troublée – elle n’est plus en majesté.

Elle finit par se dissoudre, se liquéfier chez Colette Pourroy, qui l’évoque en creux, en ombres et reflets, vaporeux, en présences fantômatiques et mouvantes. Et si là aussi le père existe, c’est au gré des fictions de l’enfant qui le regarde ou le fantasme, et par là-même l’invente.

Frédérique Aguillon:

« Où vont nos pères », 2017

« Il y a quelques années, je suis partie séjourner au Maroc, pour réaliser le portrait d’un homme. Il avait alors 80 ans et venait de s’installer à Agadir, désirant sentir à nouveau la terre et le soleil d’Afrique sur son vieux corps. Son enfance et sa jeunesse l’avaient imprégné de cette atmosphère si particulière de l’Afrique du Nord, ses odeurs, ses cris, sa vie.

Lorsque je me suis retrouvée face à lui avec mon appareil photographique, je désirais secrètement sonder cette âme si peu connue de moi. J’espérais mettre à jour la complexité de cet homme et m’assurer de l’existence de ses émotions. J’avais face à moi un visage, un corps dont les attitudes et les mouvements étaient uniques. Pourtant au fil des heures et des jours tout m’échappait. L’objectif le figeait sans cesse dans une attitude qui se répétait chaque jour. J’étais devant une énigme, un abîme qui toujours se dérobait.
Et cette personne devenait un personnage, puis plusieurs dizaines de personnages. Sa silhouette se démultipliait sans cesse en diverses identités. Qui est cet homme ?

Deux textes de fiction écrits par Soazig Oligo et Gilles Plazy nous emmèneront, à la suite de mes photographies, sur les rivages de l’imaginaire et de la poésie. »

 

Née en 1960 à Versailles, Frédérique Aguillon fait ses études aux Beaux-Arts de Quimper et obtient son diplôme supérieur d’expression plastique en 1987 sur présentation d’un travail de sculpture et de photographie. Elle s’investit depuis cette date dans son travail de photographie.

Elle a publié deux ouvrages : Passeur solitaire (1996) et Ceci est mon corps (mai 2005, Éditions Le Temps qu’il fait). Ses photographies sont présentées en France et à l’étranger. L’Imagerie de Lannion a montré pour la première fois la série « Ceci est mon corps » en décembre 2005, tandis que la Galerie der Stadt de Remscheid (Allemagne), le château de Sainte Suzanne (Mayenne), et le Musée de La Roche Sur Yon ont exposé l’ensemble de son travail au cours de l’année 2006.

Le festival Encontros da Imagem à Braga (Portugal) a exposé sa série « Ceci est mon corps » à l’occasion de son édition intitulée Fronteiras do genero. En 2009 elle participe au projet collectif « Carnets d’artistes » exposé à Quimper, Lannion, Vitré et Saint-Cloud.

Elle réalise à cette occasion un livre d’artiste intitulé Les nuits, inspiré de l’oeuvre de l’écrivain Kawabata, Les Belles endormies.

Taysir Batniji:

« Pères »

« Cette série de « portraits photographiques », élaborés entre 2005 et 2006 dans des boutiques, cafés, usines et autres espaces de travail à Gaza, a pour sujet les portraits encadrés des « maîtres des lieux » (le plus souvent le père fondateur du commerce, disparu, ou, plus rarement, l’actuel patron), accrochés derrière un comptoir, mis en évidence sur les rayonnages ou dissimulés parmi un amas de produits et de marchandises variant selon la spécialité du magasin… « Compositions inconscientes » agencées par les propriétaires des lieux.

Un sociologue pourrait voir, à travers ce travail, un questionnement de la place du père dans la société palestinienne ou arabe, la perpétuation du pouvoir hiérarchique et de l’autorité qu’il exerce, après sa mort, à travers son image… Ici, ce geste est plutôt une manière, pour le successeur (le fils ou un proche), de rendre hommage au « père » afin qu’il garde sa place et reste présent dans le lieu qu’il a fait naître, fait vivre, et dans lequel il a passé la majeure partie de sa propre vie… Marquer ce lieu de la présence de celui dont on a hérité.

Au-delà de toute analyse sociologique ou culturelle, donc, et ainsi que dans certains de mes travaux antérieurs, cette série de photographies participe à un intérêt personnel pour cet état (ou non-état ?) d’absence présente, ou de présence absente, d’état « entre ». La représentation de la disparition et le rapport qui se crée entre l’image du « père » et les éléments qui constituent le champ photographique délimité par le cadrage (l’image dans l’image) est, en quelque sorte, pour le marchand, une tentative inconsciente d’établir un rapport entre l’environnement contextuel présent et l’histoire du lieu. Pour ma part, ce travail est aussi, plus largement, une façon de questionner l’histoire et l’actualité.

Je m’interroge aussi sur la rencontre, ici, entre sphère intime et sphère publique : le portrait du « père », à la fois « monument » privé, référent familial, rappel social du patriarche, et mémoire généalogique publique (collective) du lieu de commerce ; le magasin, à la fois espace de vie (dedans) et lieu d’échange commun, quotidien et permanent (dehors). À l’image de la porte ouverte du lieu de commerce, la frontière entre ces deux sphères est poreuse, ambiguë, indistincte. Ni privé ni public : un espace « entre ».

Taysir Batniji, 2006, texte co-écrit avec Sophie Jaulmes

 

Taysir Batniji est né à Gaza, Palestine, en 1966. Il a étudié l’art à l’université nationale An-Najah de Naplouse, avant de poursuivre des études en France à l’École nationale supérieure d’art de Bourges entre 1995 et 1997. Depuis, il vit et travaille entre la France (Paris) et la Palestine où, dans cet entre-deux géographique et culturel, il développe une pratique artistique pluridisciplinaire (dessin, installation, objets / sculpture, performance, etc.) dont l’image, photographie et vidéo, est au centre depuis 2000.

L’oeuvre de Taysir Batniji, souvent teintée d’impermanence et de fragilité, puise son inspiration dans son histoire subjective, mais aussi dans l’actualité et l’histoire. Par le biais d’une approche distanciée, il détourne, étire, joue avec son sujet initial, de manière à proposer un regard poétique, parfois grinçant, sur la réalité. Après sa première exposition personnelle à Paris en 2002, ses oeuvres ont été largement exposées en Europe et dans le monde, y compris à la Biennale de Venise ; au Jeu de Paume à Paris ; au Martin-Gropius-Bau de Berlin ; à la Kunsthalle de Vienne ; au Witte de With de Rotterdam et au V&A Museum à Londres.

Taysir Batniji est représenté par les galeries Sfeir-Semler (Hambourg/Beyrouth) et Eric Dupont (Paris).

Pere Formiguera:

« Pare », 1991-2000

« Pare » est une suite de neuf portraits photographiques du père de l’artiste, extraite de sa série intitulée « Cronos » (1991 – 2000), « une réflexion sur le passage du temps à travers des portraits mensuels réalisés avec différents modèles sur une période de dix ans. L’imperceptibilité des différences entre deux images consécutives devient une preuve au fil des années. Cronos est le portrait du temps » (Pere Formiguera).

Chaque mois, Formiguera invite une trentaine de modèles de tous âges, issus de son cercle intime et participants volontaires (d’une petite fille d’un an à ses propres parents, âgés de 75 ans au début du projet). Il réalise dix prises de vues en noir et blanc de chacun : cinq de face et cinq de profil – et tous les sept mois environ, il réalise également une série de dos. Il les photographie ainsi pendant dix ans, avec la même rigueur.
Les neuf photographies qui composent « Pare » ont été réalisées entre juillet 1991 et juillet 1999.

Leur composition minimaliste (fond sombre, lumière artificielle et cadrage resserré qui offrent précisément au regard la matière du visage) statufie le modèle, minéral, qui semble flotter en dehors de toute réalité géographique et temporelle. La répétition des images crée comme une pulsation à mesure que son visage se déploie de façon circulaire dans l’espace (face – profil – dos – face), comme s’il s’enroulait tout autour de nous, dans un face à face quasi mythologique avec le temps qui passe, subtilement, mais immuablement.

Proche de la statuaire, « Pare » se déploie dans l’espace en neuf photographies comme un buste posé sur un socle tournant, que l’on fait tourner pour le reprendre, par petites touches, minutieusement.
Un ouvrage monographique présentant le projet « Cronos » a été publié aux éditions Actar en 2000 à l’occasion de son exposition éponyme au Centre d’Art Santa Mònica (Barcelone).
Ces neuf photographies font partie de la collection du Centre national des arts plastiques (Cnap).

 

Né en 1952 et mort en 2013 à Barcelone, Pere Formiguera est un des photographes espagnols les plus importants de sa génération. Il commence à prendre des photographies en 1969. Entre 1971 et 1977, il étudie l’histoire de l’art à l’Université autonome de Barcelone, tout en se concentrant sur la photographie.

À ses débuts, il réalise divers travaux avec Joan Fontcuberta, notamment en 1983 la série « Fauna ». En 1994, il remporte le prix du meilleur livre pour enfants de l’année, décerné par le ministère de la Culture, grâce aux illustrations du livre pour enfants Pulgarcito.
En 1997, il remporte le prix de l’innovation à la Foire internationale de Bologne pour son livre photo intitulé Se llama cuerpo. En 2010, il reçoit le prix Sant Cugat pour sa carrière artistique. Son travail photographique se trouve dans les collections de divers musées tels que le MOMA à New York, le MNCARS à Madrid ou le MNAC, MACBA et CCCB à Barcelone.

Il a été parallèlement commissaire de diverses expositions et membre consultatif des départements de photographie de la Fondation Joan Miró et du Musée national d’art de Catalogne (MNAC). Il a également écrit de nombreux textes sur la photographie dans divers livres, catalogues et magazines spécialisés.

Grégoire Korganow:

« Père et fils », 2010-2019

« Qu’est-ce qu’un père ? Qu’est-ce qu’un fils ? Quel est le lien qui les unit ? Le sang ? L’amour ? La transmission ? L’héritage ? Je photographie des pères, de 20 à 80 ans, debout, torse nu, avec leur fils de quelques minutes pour les plus jeunes ou entrés dans la cinquantaine pour les plus âgés. Ils sont proches, souvent peau contre peau.
J’ai débuté ce travail en 2009 avec un premier dyptique : un autoportrait avec mon fils et un avec mon père.

C’est le premier (et à ce jour le seul) de mes travaux qui met en scène mon intimité. J’ai ensuite photographié mes amis, mes voisins, des connaissances de l’école de mes enfants. Puis j’ai passé une annonce sur les réseaux sociaux. Très vite des pères et des fils que je ne connaissais pas se sont portés volontaires. Et j’ai enrichi ma série de portraits par des résidences d’artiste dans toute la France : je me suis installé dans une banlieue populaire, à la campagne, dans une ville nouvelle, une maternité… Depuis 2015, je prolonge cette série à l’étranger : après une résidence à Rio au Brésil et une en Chine, je prévois de photographier des pères et fils en Afrique, en Europe Centrale et en Amérique du Nord…

En regardant ces portraits d’hommes, on recherche les ressemblances. On scrute les traits du visage, on compare les gestes, les attitudes. On imagine une histoire. On tente de percer le mystère de la relation.
La nudité des corps jette le trouble, brouille un peu les pistes. »

 

Diplômé des Arts Appliqués à l’école Estienne, Grégoire Korganow commence sa carrière comme photojournaliste en 1991 et réalise pendant vingt ans des travaux pour des journaux internationaux de renom (Libération, New York Times, National Geographic, Marie Claire, de l’air, … ). Photographe engagé dans le réel, il prend le parti des invisibles, s’intéresse au hors-champ, puis à l’infime. Ses travaux personnels sont régulièrement exposés notamment à la Maison européenne de la photographie, aux Rencontres d’Arles, à la Triennale de Milan, au Three Shadows Art Center de Pékin ou au Musée des Beaux-Arts de Chongqing en Chine. Plusieurs de ses séries ont donné lieu à l’édition d’ouvrages : Père et fils (2016, Neus) ; Prisons 67065 (2015, Neus, Édition Les Belles lettres) ; J’étais mort (2010, Édition Le Clou dans le fer) ; Patagonie, histoires du bout du monde (2004, Édition Solar) ; Avoir 20 ans à Santiago du Chili (2003, Éditions Alternatives).

Il conduit régulièrement des ateliers en France et à l’étranger, et enseigne la photographie à l’Université Paris 1 en 2012. Depuis quelques années, il signe plusieurs films expérimentaux : Les Voyageurs (FIHDH de Genève, 2018), Un temps de rêves (Festival OVNI, 2017 et 2018), L’invitation (Festival européen du film court, Nice, 2018). Depuis 2017 avec le soutien de Fondations et d’Institutions, il poursuit son travail sur les prisons françaises en utilisant les médiums de la photographie et du film.

Colette Pourroy:

« Père (saga familiale 1) », 2013

« Au clair de son ombre »

« Colette Pourroy brouille les pistes.
Ses images nous attrapent à notre insu. Nous flottons avec elles entre réalité et fiction, mémoire et rêve, nous naviguons entre passé et présent. Nous pénétrons sur un territoire visuel où les références et les influences se croisent, se mêlent, nourrissent une narration personnelle, intime et pourtant universelle.
Colette Pourroy a reconstitué et mis en scène ses années d’enfance. Et plus particulièrement le souvenir de son père dont elle ébauche ici un portrait en creux. Elle ne livre pas ici le récit d’une relation douloureuse ou conflictuelle. Aucun pathos, aucun malaise, aucun voyeurisme. Elle explore une absence à qui elle donne corps et âme.

L’expressionnisme allemand de Friedrich Murnau ou de Fritz Lang traverse également plusieurs des compositions de Colette Pourroy. Sa culture et son apprentissage visuel participent aussi à la construction de ses images. Ces influences, conscientes ou non, donnent un caractère universel à la série. Elle peut librement résonner, vibrer et ramener chacun à sa propre histoire intime, à ses propres souvenirs ou émotions, à ses propres petites madeleines de Proust cinématographiques, photographiques ou littéraires.

C’est dans ce théâtre d’ombres et de lumière que Colette Pourroy dresse le portrait de ce père évanescent. Les apparitions de cette silhouette, dans un escalier, au fronton d’un mur, sur le rideau d’une fenêtre, sont suivies d’une lueur, d’une attente. D’un espoir délicat et frêle. Mais d’un espoir. »

(Olivier Bourgoin)

 

Colette Pourroy vit et travaille à Paris et en Provence. Formée à l’ENSAD, à la Villa Arson à Nice, elle se spécialise en graphisme et photographie. Elle exerce durant trente ans dans l’édition à Paris en free-lance, avant de se consacrer entièrement à la photographie à partir de 2008, en lien avec Nathalie Luyer, VISAVIS international. Dès 2003, elle participe régulièrement à des expositions en France et à Paris. Ses photos sont réalisées en argentique, sans retouche, et ses tirages sur papier baryté mat à l’agrandisseur.

Colette Pourroy expose régulièrement en France et à l’étranger (Mind’s Eye galerie, Paris ; Galerie Huit, Arles ; Galerie Atelier du Midi, Arles ; Art Karlsruhe, Galerie Charron (Allemagne) ; Mois de la Photo à Paris, Little Big Gallery ; Galerie du Centre Iris, Paris,…). Ses photographies font partie de collections publiques (Bibliothèque Nationale de France – Richelieu, Maison Européenne de la Photographie) et privées en France et à l’étranger. En 2017, elle publie Ève réincarnée et à l’été 2019 Rouge était sa couleur, tous deux chez André Frères Éditions.

 

 

Quentin Yvelin:

« Pectus Excavatum_ Ec = 1⁄2 mv2 », 2018

Le pectus excavatum, « thorax en entonnoir » est une malformation du thorax congénitale. Elle se traduit par une excavation du thorax qui peut être plus ou moins prononcée, symétrique ou non. Dans la moitié des cas, le pectus excavatum est idiopathique. La malformation n’entraîne normalement aucune complication, elle peut cependant engendrer des difficultés respiratoires.

Le vent est de l’air en mouvement, et comme tout corps en mouvement on peut lui associer une énergie cinétique, elle est en fonction de la masse et de la vitesse du volume d’air. Si on considère que la masse volumique de l’air (masse de l’air par unité de volume) est constant, on peut dire que l’énergie fournie par le vent est fonction de sa vitesse : Ec = 1⁄2 mv2 (où Ec s’exprime en joules, m en kilogrammes et v en mètres par seconde par rapport au référentiel).

Dans ce récit elliptique, celui d’un homme dont la vision se matérialise au sein d’un mode de vie ascétique, l’énergie cinétique du vent et la restauration d’une éolienne deviennent la métaphore d’une quête de transcendance et l’accès à une respiration spirituelle, loin du matérialisme.
La malformation dont souffre cet homme, Pectus Excavatum, une excavation du thorax, qui entraine parfois des difficultés respiratoires, apporte à cette recherche d’un nouveau souffle, une résonance symbolique et cathartique.

 

Quentin Yvelin, né en 1988, vit et travaille en Bretagne. Formé à l’université Paris 8 (Photographie et art contemporain) puis à l’EESAB – site de Lorient, il s’oriente vers la photographie et l’édition graphique. Son travail oscille entre documentaire subjectif et fiction, et emprunte aussi bien les formes du journal photographique que des installations qui mêlent dessins, textes et images.

Depuis quelques années, ses recherches le conduisent à interroger des modes de vie et des imaginaires en marge qui s’inscrivent dans un minimalisme et un mysticisme renouvelés. Les photographies présentées ici dessinent une cartographie à la fois énigmatique et initiatique au sein de laquelle des individus sont en recherche, en quête d’une transformation. Ses photos sont réalisées en argentique et ses fanzines sont auto-édités. Quentin Yvelin expose régulièrement (Lendroit éditions, Dos Mares, Galerie Le Lieu, Artothèque de Vitré, Mains d’OEuvres) et participe à des salons d’éditions (offprint, Multiples, Paper and print, Cosmos Arles Books).

La Conserverie, un lieu d’archives:

« Père », 2019

« Lorsque s’est posée la question de cette possible exposition, ma première pensée a été : le père, ce grand absent de la photographie de famille. J’avais souvenir d’avoir vu, au sein des milliers de photographies archivées à La Conserverie, des ombres portées, des pères un peu à l’écart mais surtout un père derrière son objectif. Un père qui englobe du regard les bouts d’instants de ses proches, de sa famille de son histoire. Celui qui est en dehors, à côté de la scène.

Et puis, non, à bien y regarder, il est bien là ce père, il est présent dans notre iconographie familiale. Cependant il me semble quelque peu différent des autres protagonistes. Il prend corps pour cette image, il parait extrait du cours des choses pour l’instant photographié, comme s’il portait sur ses épaules le devoir d’incarner la figure paternelle en son entier. Il est figure, il est sujet, il est en situation de père. Il est ce que l’on attend de lui, ce que l’on projette : celui qui tient, qui porte, fait face : il pose.

De sa présence au milieu d’enfants la structure familiale devient triangle, solide, droite. De ses bras, de ses mains il fait cercle, il fait lien. Il est avec, il crée l’ensemble. De son statut il sait aussi glisser en vacances. Alors il s’agenouille, se couche, joue, n’est pas sérieux. Et là encore : il tient des bras, des jambes, des bouts de pieds. Il tient, il est en dessous, il est autour avec ses grands bras qui enserrent, ses mains données.
Dans cette photographie issue des albums des uns et des autres, le père n’est pas ordinaire, quotidien. Il est regardé, magnifié, valorisé. Le père est beau, ample. Je ne peux m’empêcher de me souvenir que devant celui-ci, il y a certainement le regard de l’épouse, de la mère photographe. De la femme et de ses projections.
Et ici, de mes projections. »

Ces photographies ont été choisies dans le fonds iconographique du Conservatoire National de l’Album de Famille de La Conserverie.

(Anne Delrez, directrice artistique de La Conserverie, avril 2019)

 

Depuis 2009, Anne Delrez recueille, interroge, témoigne d’archives photographiques dites de famille.
La Conserverie est le lieu, au 8 rue de la Petite Boucherie à Metz (Grand Est) que l’artiste a ouvert pour transmettre ces précieuses images à tous les publics et accueillir des artistes contemporains.
Ayant constitué un véritable patrimoine visuel fort de plus de 26 000 images, la Conserverie est aujourd’hui reconnue en France pour son travail sur la photographie vernaculaire.

En son sein l’artiste imagine des expositions (Recueils, Le Château d’eau, Toulouse mars 19 ; Arweider, exposition avec Julie Luzoir, FRAC – Fondation Hermès, Saint Louis-les-Bitche, janvier 2017 ; Votre photo mérite un agrandissement, Galerie le Lieu, Lorient, juin 2016) et imagine des livres d’images (L’autobiographie comme mensonge, édition de La Conserverie, octobre 2017 ; Se tenir, 2017 ; Charles et Gabrielle, photographes, 2003).