L’Imagerie a confié le commissariat artistique des 21º Estivales Photographiques du Trégor au regard critique de Gabriel Bauret en lui demandant de s’interroger sur « la photographie de demain ». Les jeunes créateurs qu’il a réunis pour l’occasion explorent divers domaines de la réalité ou territoires de l’imaginaire, renouvelant ainsi les genres traditionnels de la photographie que sont, entre autres, le paysage, la nature morte ou le portrait.
Depuis quelques années maintenant, de nombreuses précautions s’imposent s’agissant de parler de la photographie en général. Elle est en effet pratiquée par des créateurs aux parcours et ambitions très diverses. A tel point que les mondes qui se sont constitués autour de ces pratiques divergentes ont fini par s’ignorer. Babel photographique ? Alors qu’il fut un temps où l’on appréciait dans cet art l’idée qu’il puisse parler au plus grand nombre. Cela dit, il ne faut pas renoncer pour autant à croiser les projets, les écritures, et à dépasser ainsi les frontières qui ont pu s’ériger par exemple entre des artistes se servant de la photographie pour développer une expression purement personnelle et ceux qui poursuivent sous différentes formes une démarche à caractère documentaire.
Maintenir cette position d’ouverture, tel est le principe de l’expérience qui est menée ici. Par ailleurs, il semble logique, compte-tenu de la question formulée : « Demain la photographie ? », de se tourner vers une jeune génération plutôt que de convoquer les talents reconnus. C’est elle, de toute évidence, qui a commencé de dessiner les futurs visages de cet art. Et de cette nouvelle génération, on notera qu’elle est constituée d’un grand nombre de femmes, alors que la photographie a longtemps été conjuguée au masculin.
(Gabriel Bauret, Commissaire artistique des Estivales 1999)
Gabriel Bauret est né en 1951. Après une thèse sous la direction de Roland Barthes, il est responsable de la rédaction du magazine Loom.
En 1984, il crée avec les éditions Contrejour Camera International. Il collabore à Photographies Magazine. Aujourd’hui, il réalise des expositions photographiques en France et à l’étranger. Il est l’auteur de plusieurs livres et enseigne à l’Université de Paris X.
Julie Ganzin:
Quelques tableaux du peintre romantique allemand Caspar David Friedrich montrent des personnages contemplant de grandioses paysages. Comme si le peintre voulait magnifier cet acte de contemplation auquel son art et le genre qu’il pratique sont alors étroitement associés. Le travail de Julie Ganzin pourrait être regardé en ce sens, à ceci près que les paysages qu’elle photographie ne sont pas nécessairement féeriques comme chez Friedrich. D’autre part, c’est elle-même qui s’introduit et s’implique dans ses images ; non pas systématiquement, mais fréquemment.
Sa présence parfois furtive, souvent ludique, vient animer, rythmer la composition, à l’intérieur des images ou de ses différentes combinaisons. Elle fait corps avec le paysage, au sens où elle s’y répand physiquement, elle signale des formes d’abandon, de plaisir, d’émotion. Ces paysages qu’elle nous montre de toute évidence lui sont chers.
Beaucoup se rattachent à une culture méditerranéenne, en tous cas à une géographie du sud. La lumière y est aveuglante, de sorte que les couleurs s’estompent ainsi que les contrastes. Un peu comme certains cinéastes ont utilisé la surexposition pour signaler ce moment où l’on quitte la réalité. Car il ne s’agit peut-être pas d’une autobiographie.
Est-ce d’ailleurs bien le corps de Julie Ganzin qui se montre ici ? L’artiste ne s’est-elle pas dédoublée ?
Les premiers travaux de Julie Ganzin datent de 1986; elle expose pour la première fois en 1992, à Paris. Elle illustre un premier livre en 1991, puis va régulièrement collaborer avec écrivains et poètes et accompagner leurs textes dans le cadre d’ouvrages publiés entre autres chez Fata Morgana. Elle vient d’exposer à la Galerie du Château d’Eau, à Toulouse. et à la Galerie Camera Obscura, à Paris et à la Galerie du Théâtre Granit, à Belfort.
Jean-François Joly:
Jean-François Joly s’est fait connaître par un travail sur le thème des « naufragés de la ville », au moment où plusieurs photographes portaient leur regard sur les laissés pour compte. Il ne s’agissait pas toujours de portraits à proprement parler, plutôt d’une enquête sociale marquée par une vision rapprochée des sujets. D’emblée, son travail s’est imposé par une esthétique très cernée mêlant à une exigence documentaire – la relation au sujet n’est jamais biaisée – une qualité plastique liée à l’emploi du film négatif Polaroid noir et blanc. Peu à peu, le portraitiste s’est affirmé dans le sens où il a regardé plus intensément les gens qu’il photographiait tout en diversifiant sa composition, nuançant sa lumière. Tout est en place dans sa série sur les prisonniers russes, ainsi que parmi les drogués de Zurich.
Au Caire, il poursuit son travail personnel dans lequel le portrait se dote de nouveaux points de vue, de plans plus variés, de cadrages plus libres. Aujourd’hui, Jean-François Joly multiplie les portraits pour la presse, dans des conditions parfois difficiles – quelques minutes seulement pour opérer -, et son expérience continue de s’enrichir.
L’approche reste la même, qu’il s’agisse des sujets qu’il choisit ou de ceux qui lui sont imposés.
Né en 1961. Après un passage à l’agence Editing, il travaille comme photographe indépendant et réalise régulièrement des portraits pour les quotidiens Libération et Le Monde.
En 1994, il publie Naufragés de la ville, ouvrage préfacé par Xavier Emmanuelli. En 1997, il reçoit l’aide du programme Mosaïque pour mener un travail sur les Tsiganes en Europe.
Agnès Propeck:
Agnès Propeck emmène le spectateur de ses images vers la poésie : elle détourne les objets de leur usage commun et de leur représentation ordinaire à la manière dont le poète transgresse les définitions du dictionnaire et met la langue à l’épreuve. Elle provoque, dans le cadre de mises en scène minutieusement réglées, des rencontres inattendues qui font travailler notre imagination, interrogent notre inconscient. Mais les mécanismes mis en oeuvre ne sont pas le fait du hasard : chaque rencontre, chaque ins tallation, chaque détournement est l’aboutissement d’un long cheminement, de nombreux questionnements, et parfois même de quelques tourmentes. S’imposent alors le juste équilibre du sens, ou encore le subtil plaisir de l’irrationnel, ainsi que sur le plan formel le point de vue, la lumière et le cadre adaptés au propos.
Aujourd’hui, les composantes de la mise en scène ne sont plus seulement des objets, mais également des gestes, des signes, des symboles, des jeux, des aventures. Et si le vocabulaire visuel est en grande partie issu de mondes qui nous sont familiers, un peu comme ces « choses » qui inspiraient jadis le poète Francis Ponge, les histoires auxquelles les images d’Agnès Propeck nous renvoient sont souvent aussi de sensibles clins d’oeil à l’enfance.
Née en 1962, Agnès Propeck s’engage dans la voie des arts graphiques, collabore à Photographies Magazine, Camera International et enseigne à l’Esag. Elle expose pour la première fois en 1994, à la galerie Alain Gutharc, où elle vient de montrer ses dernières images. Elle participe à l’exposition du Centre Pompidou consacrée à « La Photographie contemporaine en France » (1996).
Edith Roux:
Depuis notamment le programme de la Datar, les travaux photographiques sur le paysage ont connu un redéploiement significatif. A l’écart d’une vision purement plastique ou romantique, les photographes ont exploré toutes sortes de territoires et non plus seulement des sites qui pouvaient se prêter à une composition répondant aux critères esthétiques marqués par l’histoire de la peinture.
Ils ne se sont pas seulement recommandés d’une objectivité documentaire, ils ont également formulé des idées, pris des positions sur ce qu’ils voyaient, élaboré des concepts. Dès ses premiers travaux, Edith Roux s’inscrit dans cette perspective, choisissant d’abord de s’exprimer autour d’une ligne où la nature rencontre des sites industriels. Ici, elle explore les territoires à la périphérie des villes. Une fois encore, elle montre une frontière, une ligne de partage entre des zones industrielles et commerciales souvent aménagées à la hâte, pour ne pas dire à la légère, et une nature menacée, rendue fragile par la proximité d’une urbanisation peu scrupuleuse.
L’intérêt de ce travail autour de grandes métropoles réside dans le fait qu’il est mené à différents endroits d’Europe. Et tous ces paysages affectés du même symptôme finissent par se res-sembler, au nord comme au sud.
Edith Roux est née en 1963. Elle étudie l’histoire de l’art puis la photographie. Elle s’installe à Paris comme photographe d’architecture et expose à Arles et Nancy une série de paysages industriels réalisée autour de Marseille. Elle entreprend sur la ville de Shanghai un travail qu’elle montre à la Chambre Claire, à Paris, en 1996. Elle vient d’exposer à Mulhouse un travail sur l’Alsace.