Prise depuis un sentier que l’on devine au premier plan, cette photographie montre une plaine agricole recouverte d’un épais manteau neigeux, avec juste quelques cabanes isolées et des parcelles délimitées par des palissades. Issue de l’une des premières séries d’Éric Dessert, elle a été réalisée en 1993 dans une région montagneuse des Carpates orientales appelée La Bucovine, située au nord de la Roumanie, dont le nom est dérivé du slave « Bukowina » signifiant « Pays des hêtres ». Depuis ses débuts, le photographe porte son regard sur les sociétés rurales et leurs habitants, qu’il saisit à plusieurs reprises lors de voyages à travers l’Europe centrale et l’Asie : en Géorgie (1999), au Japon (entre 2001 et 2003) puis en Chine (2002 et 2009). À l’écart des courants dominants, il poursuit une quête personnelle et spirituelle du beau qu’il perçoit dans ces mondes vernaculaires qui perdurent encore de nos jours, sans jamais céder à un discours passéiste. Ce goût pour la ruralité, ses communautés et ses formes d’artisanat aujourd’hui oubliées s’est affirmé très tôt. Après un diplôme en section « Humanités photographiques » obtenu en 1977 à l’Institut Saint-Luc de Tournai en Belgique, Éric Dessert est mandaté à partir de 1980 par le ministère de la Culture pour la réalisation d’une mission de recensement et d’étude du patrimoine culturel français. Cette expérience va confirmer son goût pour l’architecture vernaculaire et les patrimoines de communes rurales reculées. Dès lors, il consacre son œuvre à la recherche de paysages à l’allure intemporelle dans lesquels l’homme et la nature coexistent en harmonie, loin de la frénésie et de la modernité des grandes villes. Muni de sa chambre grand format, il parcourt des territoires bien souvent ignorés, qu’il photographie exclusivement en noir et blanc, avec un long temps de pose. Accordant une importance toute particulière à la qualité de ses tirages, il obtient ses épreuves argentiques en exploitant des procédés photographiques tels que le virage au sélénium appliqué à cette photographie, afin de donner plus de contraste et de profondeur à ses images. Ici, il exalte la simplicité et la beauté de la campagne roumaine dans une composition sobre aux délicates nuances de gris. Comme souvent dans le travail d’Éric Dessert, cette photographie associe « une grâce inséparable de l’âpreté et de la caducité des objets¹ », dans une profonde impression de plénitude.

1 : Christian Doumet, « Mais », in Lucien Bianco, Éric Dessert, Une autre Chine, Lyon, Lieux Dits, 2009, n. p.

Vincent Raoul

Expositions

· Paysages d’ici et d’ailleurs. Extraits de la collection de L’Imagerie – Lannion, Trestel, CRRF (Centre de Rééducation et de Réadaptation Fonctionnelles), 25 janvier – 22 mars 2012
· Par ricochet, Lannion, L’Imagerie, 29 juin – 26 octobre 2024